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New York, West River Drive
Jeudi, 23 heures
Sqweegel paya le taxi et dit au chauffeur de garder la monnaie. La voiture jaune crasseuse repartit, laissant son passager sur le dernier trottoir de la rive ouest de Manhattan. Le chauffeur lui avait infligé les cochonneries qu’il écoutait à la radio. Si Sqweegel n’avait pas eu d’autres projets, il lui aurait fait payer son indiscrétion. Par exemple en l’attachant quelque part avant de lui nettoyer les oreilles à la perceuse pour qu’il puisse entendre les voix divines. Le silence divin.
Mais il n’avait pas de temps à perdre. Les chevaux attendaient. Et son chasseur, qui se creusait encore les méninges à l’autre bout du pays, serait perdu s’il ne recevait pas bientôt un nouveau message.
De l’autre côté de l’Hudson, les lumières du New Jersey clignotaient. Sqweegel aimait tourner le dos aux ziggourats de New York auxquelles tant d’idiots vouaient un culte aveugle. Elles ne lui étaient utiles que parce qu’elles lui fournissaient d’innombrables cachettes. Si l’envie lui en prenait, il pouvait disparaître dans cette jungle de béton durant dix ou vingt ans à l’insu de tous. Et, pendant tout ce temps, il ne cesserait d’épier les humains. Tel un ange.
Sqweegel quitta la rue et descendit un petit sentier. Il était vêtu comme un soldat en permission : rangers, treillis, gilet pare-balles, capuche, casquette et lunettes noires. Un croisement entre l’armée et Brooklyn. Personne n’irait chercher plus loin en le voyant. Ni ne se demanderait pourquoi il portait un petit carton blanc sous le bras. Des fleurs pour maman ou sa petite copine. Une dizaine de roses pour dire : « J’espère que tu n’as pas couché avec un autre pendant que je me faisais tirer dessus dans l’Hindu Kush. »
Au bout du sentier se dressait une palissade surmontée de barbelés. Une plaque en bois sculpté portait en lettres dorées les mots : police montée de new york.
Un peu d’élégance campagnarde dans un océan de verre, de plastique et de métal. Sqweegel trouva admirable que les gens se donnent autant de mal pour avoir de l’allure, parfois.
Il glissa le carton de fleurs sous la palissade. Puis il ôta son gilet et le posa sur les barbelés. Rapidement, il escalada la palissade, enjamba les barbelés et récupéra le gilet tout en retombant de l’autre côté. Le tout d’un mouvement si souple et si vif que quiconque l’aurait vu se serait frotté les yeux, croyant avoir rêvé. Mais il n’y avait personne alentour.
Sqweegel passa les doigts sur l’adhésif qui maintenait l’emballage. Plus la peine de se camoufler, à présent. Il était dans la place.
Il souleva le couvercle. À l’intérieur se trouvait un pistolet. Des munitions. Et un sachet plastique rempli de carottes. Le tout venait de Brooklyn. Le carton, de chez un fleuriste de Court Street. Les carottes, d’un étal de fruits et légumes sur Smith Street. Et l’arme ? D’une petite boutique de Red Hook qu’il avait trouvée dans l’annuaire. En tout, une heure de shopping.
Il chargea l’arme, glissant chacune des balles argentées dans le magasin. Puis il continua son chemin en direction des écuries. L’odeur âcre du crottin et de la paille humide le prix à la gorge. C’était là que la police montée garait ses chevaux. Les cavaliers devaient être en train de descendre bières et pizzas dans quelque banlieue, mais les nobles montures ne quittaient jamais Manhattan. Elles étaient de service permanent sur ce minuscule arpent de nature que la ville avait préservé.
N’importe qui pouvait visiter les écuries. Sqweegel y était venu l’an passé. Et il avait scrupuleusement pris des notes.
Il sortit son calepin de sa poche arrière et consulta la liste des noms. Chaque cheval avait un surnom. Mais ceux de la liste de Sqweegel étaient particuliers.
Dalia
Runner
Coach
Beemer Sampson
Premier de la liste : Dalia.
Un nom de pute.